Je sens que NisieTi est au bout du rouleau par rapport au collège.
Je sens qu'elle n'en peut plus de se sentir différente, de se sentir isolée au milieu de tant de monde.
Je sens que c'est plus difficile encore de s'imaginer seule réellement. Je le lui ai proposé hier soir, lui disant qu'elle semblait se sentir tellement mal au milieu des autres et lui demandant si ce ne serait pas plus facile de rester seule dans un coin, à lire des bouquins...
Elle me répond qu'il n'y a aucun endroit de la cour où elle peut se réfugier pour lire. Pas de quoi s'assoir sous le préau, le foyer n'est ouvert qu'une journée par semaine aux 6°, le CDI n'est pas accessible, le hall du collège est interdit pendant les récréations... Elle a dit plus tard à son père que ce serait trop la honte de se retrouver seule...
Hier soir, son leitmotiv était "Je ne veux pas y aller"...
Mardi dernier, avec la psy, on a beaucoup parlé de notre rôle de parents qui est aussi de l'accompagner à prendre ses propres responsabilités, du fait que "céder" à son malaise ne l'aidait pas forcément à avancer, à se construire. J'étais décidée hier soir à ne pas lâcher prise, à résister à la "facilité" de la garder à la maison. J'avais dans la tête qu'on est à 3 semaines des vacances, qu'on tentait de tenir jusque là et qu'on mettait les choses à plat à ce moment-là...
A plus de 23h30, je lui ai dit que là, moi, je n'en pouvais plus, qu'il fallait encore que je m'occupe de la lessive, puis qu'il fallait que je me couche, parce que j'étais fatiguée, parce que le réveil sonnait à 6h15, parce qu'il fallait que je sois suffisamment en forme pour travailler aujourd'hui. Je ne veux pas lui faire porter mes journées de travail perdues parce que je suis préoccupée par ce qu'elle vit, mais je cherchais une porte de sortie.
Je lui ai dit que pour elle aussi, il était plus que temps de se mettre au lit, qu'il fallait qu'elle se centre sur ce qui est positif au collège pour mettre ses craintes au second rang... Et je suis descendue finir ce qu'il fallait que je fasse avant de me coucher.
Ernesto, l'entendant pleurer est d'abord venu me voir. Je lui ai dit, désemparée, que je ne savais pas quoi faire de plus, que juste, elle ne voulait pas y aller...
Il est monté la voir, je suis partie dans le garage. J'ai fait pas mal d'allées et venues entre le garage et la maison. J'entendais Ernesto hausser le ton, NisieTi pleurer et répondre sur le même registre...
Je pleurais toute seule dans mon coin...
Quand je suis enfin montée me coucher, NisieTi m'attendait en haut de l'escalier... J'espérais qu'elle voulait son bisou du soir... mais non...
"Je ne veux pas y aller...
-Ma chérie, il n'y a pas le choix, il faut que tu y ailles demain. (et mon cœur saigne et se déchire en pensant à ce que j'exige d'elle...)
-Est-ce que je ne pourrais pas faire l'école à la maison ? (plein d'espoir dans sa voix...)
-Mais NisieTi, c'est quelque chose qui doit s'organiser, on ne peut pas faire ça comme un claquement de doigts"
Et là, elle repart en gros sanglots bruyants...
Ernesto sort de la chambre, nous interroge. NisieTi en larmes redit qu'elle ne veut pas y aller et Ernesto lâche :
"Eh bien tu n'y vas pas, demain tu restes là !"
Et il retourne dans la chambre...
Alors là, oui, les choses s'apaisent vite... NisieTi arrête de pleurer. On se dit bonsoir et je rentre dans la chambre...
Mais moi, je suis désemparée...
45mn de galère pour tenter de lui dire qu'il n'y a pas le choix, que pour le moment, on n'a pas pris d'autres dispositions, qu'il faut qu'elle aille en cours le lendemain... tout ça, anéanti en une petite phrase...
Alors d'un côté, c'est clair, je suis soulagée. Il n'y aura pas de nouvelles crises lundi matin. Mais que va-t-il se passer lundi soir ?
J'essaie d'exprimer ça à Ernesto, et aussi je lui rappelle la discussion que J'ai eu avec la psy...
Et sa réponse est plutôt brute de décoffrage... :
"Elle va l'avoir sa putain de déscolarisation et elle va s'emmerder comme un rat mort toute la journée à la maison"
Voyant de la lumière dans le couloir, j'ai cru que j'avais oublié d'éteindre dans les escaliers. Je sors de la chambre, et là, je vois NisieTi éteindre la lumière des toilettes et se diriger vers sa chambre... Ce qui veut probablement dire qu'elle a entendu Ernesto...
Je suis retournée dans la chambre, me suis assise sur le lit, et là, je me suis effondrée...
"Mais qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi tu pleures ?"
???
Comment ça pourquoi je pleure ???
Mais je me sens complètement perdue moi !
La situation me fait peur, réellement !!!
Ce qui est le plus déstabilisant pour moi, c'est que toute la journée, elle raconte des choses positives sur le collège, "on a trop ri en cours X", "Y m'a raconté, ça, on s'est trop marré", " Avec Z, on est allé acheter des bonbons après les cours, c'était trop sympa".... Et le soir, c'est fini, il ne reste que de la crainte, que du désespoir... Et le fait de lui rappeler tout ce qu'elle a pu nous raconter n'y change rien...
J'ai une crainte très forte que la désco ne soit pas une véritable solution en tout cas, pas une solution positive. Je crains que ça renforce les difficultés de NisieTi à se confronter aux autres et à assumer sa différence... J'en ai parlé avec des gens qui pratiquent la désco ou pas mais qui n'y sont pas opposés en tout cas, avec des gens qui sont confrontés au même souci que nous avec leurs enfants. Globalement, la réponse qu'on me donne, c'est que premièrement, ça peut n'être que passager et deuxièmement, la réponse est globalement que des racines solides permettent de prendre son envol pour plus haut... En clair, en se ressourçant à la maison, NisieTi sera capable de repartir sereinement vers l'extérieur au bout d'un moment...
Ok, je peux entendre ça...
Mais...
Qu'est-ce que ça veut dire en terme de solutions à trouver, de temps à y passer, d'accompagnement à fournir ???
Et là, j'ai peur pour mes études (sans doute une réaction très égoïste... mais est-ce si logique de sacrifier quelque chose de si gratifiant pour moi ???), j'ai peur de comment Ernesto peut vivre cette "contrainte" supplémentaire. Et hors de question que je puisse envisager que ce soit lui qui porte tout parce que lui est à la maison...
J'ai peur de la réaction des autres enfants de la maison... Nos grands... bon, je pense qu'eux sont suffisamment à l'aise avec ce qu'ils vivent actuellement pour ne pas se sentir "trahis". Mais le côté "elle, elle ne se lève pas", c'est sûr que ça va sortir...
Et TôTi, et ToupiTi ? Impossible pour moi de savoir ce que ça peut générer chez eux, mais je suis quasi sûre qu'il y aura réaction...
Et SécoTi*, qui est dans le même collège que NisieTi ? Je n'ai pas de grosses craintes de ce côté-là, sachant que de toute façon, pour elle, nous ne sommes pas décisionnaires. Mais qu'on "paie" le truc un peu... je n'en serais pas surprise...
J'ai peur aussi parce que j'ai le sentiment que là, on n'a pas maîtrisé grand chose, que la décision vient de NisieTi, de sa "crise". Et je pense qu'elle n'est pas en âge de décider elle-même de choisir la désco. Elle peut nous la demander, mais c'est à nous au final de la décider... Ernesto m'a répondu que c'est bien lui qui lui avait dit qu'elle n'irait pas en cours aujourd'hui... pas elle... c'est vrai... Mais quand même, ce n'est pas très clair pour moi dans ma tête...
J'ai peur également de la réaction des gens de notre entourage... La vôtre peut-être...
Et si mon homme dit "les autres, on s'en fout", c'est un peu moins simple pour moi.
Je suis d'accord avec lui que notre décision nous appartient et qu'on n'a pas à la remettre en question à cause des autres. Mais, comme je ne me sens pas sereine, je crains les discussions que ça va générer et la dépense d'énergie que ça va entraîner. Sans doute que je serai le plus franche possible en disant qu'on n'a aucune certitude que ce soit la bonne solution, mais qu'actuellement, on n'en trouve pas d'autres et que ça ne pouvait pas durer comme ça...
J'ai peur du coût enfin... je sais que les cours du CNED ne sont pas donnés... et qu'il n'est pas simple pour nous d'envisager de grosses dépenses actuellement (mais je n'ai pas encore été mettre mon nez dans cet aspect-là)... Bon après, j'ai conscience que ça veut dire qu'on arrêterait de payer le collège et peut-être le car...
Voilà tout ce que j'ai pu essayer d'exprimer à mon homme cette nuit.
La discussion a été difficile.
Nous ne sommes pas doués pour être en lien dans les temps de crises... Il y avait peu d'empathie dans sa façon de me répondre, beaucoup d'agacement...
Après un long silence, j'ai tendu la main vers lui et je lui ai dit "je crois qu'il faut vraiment qu'on soit dans la communication". Silence... Je lui ai demandé s'il m'avait entendu (on était couchés, dans le noir et je connais sa propension à s'endormir très vite...) et là il m'a répondu "T'as qu'à le dire à ta fille !"
Moi, je parlais de nous deux... (et je suis convaincue qu'il l'a très bien compris...)
Ca me glace quand les choses se passent comme ça, quand il répond à mes larmes, à mon désarroi par de la colère... Je sais que c'est qu'il est profondément mal à l'aise que j'aille mal. Et probablement qu'il se sent très mal aussi... Mais quel horrible sentiment de solitude...
Voilà... je suis à la BU depuis une heure. Je savais que je ne pourrais pas bosser avant d'avoir déchargé tout ça... Est-ce que je vais y arriver maintenant ???
* SécoTi, c'est la jeune accueillie par Ernesto... Elle fera l'objet d'un prochain article, en tout cas, j'aimerais bien !